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Jangorama
5 août 2007

Le cas "Tron"

Tron est un film que beaucoup de gens de ma génération (23 ans perso) ont observé d'un regard curieux sur une VHS de leur enfance. En effet, l'objet étant estampillé Disney, il semblera légitime à tout parent de le confier à un petit garçon avide de jeux vidéos. Mais Tron est un film bien plus difficile d'accès que cela, c'est un véritable ovni, à mi-chemin entre le film expérimental culte et la grosse machine commerciale un peu vide. Rien que ça! En conséquence, j'en gardai un souvenir assez brouillé, mais très positif. Comme avec beaucoup de souvenirs diffus mais marquants, j'avais beaucoup enjolivé la réalité et y avait projetté les thématiques passionnantes et complexes que j'ai découvert depuis dans la foisonnante littérature de science-fiction.
Alors qu'est Tron? Pour ceux qui l'ignorent (et on vous pardonne), Tron est le premier film reposant massivement sur les images de synthèses. Et c'est même sa thématique puisqu'il nous conte l'aventure d'un informaticien (interprété par un tout jeune Jeff Bridges) au sein d'un ordinateur. Il se retrouve alors dans un univers de jeux vidéo en 3D, aspect plus novateur qu'il n'y paraît puisque le film sort en 1982, avant même l'apparition des consoles Nintendo et Sega. Dans un probable futur proche, le héro s'est fait voler les jeux vidéos qu'il a conçu par un collègue, devenu depuis PDG d'une tentaculaire corporation, grâce au succès des programmes volés. Mais le méchant est dépassé par ses créations et obéis désormais à son ordinateur, lui-même dominé par MCP (Master Control Program), un jeu d'échec mégalo devenu un véritable tyran du monde informatique. Le but de cette entité n'est ni plus ni moins que de dominer le monde en conquérant les systèmes informatiques de tous les gouvernements!
Bridges, alias Flynn, se retrouve donc au coeur d'une véritable dictature, où les programmes ont l'apparence de leur concepteur et se battent pour leur liberté dans une variation des jeux du cirque. En outre, ils nous considèrent comme des dieux et n'ont pas conscience de nos faiblesses. Flynn va aider Tron, un programme conçu par un de ses amis pour lutter contre MCP à renverser le pouvoir. Au passage il tombe aussi amoureux d'un programme féminin, et là ça devient vraiment strange, mais soit.
A noter: 20 ans plus tard, les frères Wachowski reprendront quasi tel quel cet univers (des programmes qui se rebellent, un ordinateur mégalo, jusqu'à l'intervention d'un oracle faisant le lien avec le monde des programmeurs) pour l'étendre sur trois films (Matrix, donc) et faire croire à une foule crédule qu'ils avaient réinventé Aristote et la science-fiction. J'en pleure encore. Au moins Tron est-il un film qui ne pète pas plus haut que son cul. S'il y a de vrais moments de fulgurance quasi-philosophique dans les parallèles que les scénaristes sont parvenus à établir entre la vie des programmes et notre société, tout cela est surtout prétexte à scènes d'action et à un déluge graphique bien plus original et réussi que le gothique façon backrooms des Wachowski. Fermons la parenthèse.
Car le suc de Tron, et la raison de sa survie, est bien là. Dans son approche graphique résolument radicale, bien mise en valeur par une édition DVD impeccable. Plutôt que de tenter de masquer les limites des images de synthèses balbutiantes utilisées pour dépeindre le monde virtuel, les artistes du film en ont fait une esthétique affirmée, allant jusqu'à simuler ce rendu dans des plans utilisants en fait des maquettes! Lisse, dominé par la droite et le cercle, privilégiant les couleurs fluo et le noir profond, n'utilisant la musique qu'avec parcimonie, Tron est un film hypnotique, qui renvoie par moment au final halluciné du 2001 de Kubrick. On ne s'étonne qu'à moitié de découvrir au générique, sous la rubrique "Production designer", Syd Mead (Aliens, Blade Runner, 2010) et le monument de la SF en BD Moëbius (qui a aussi participé au cinéma à Alien, Abyss, Willow ou Le Cinquième Elément avec plus ou moins de bonheur). Le nom du réalisateur, Steven Lisberger, est lui par contre tombé dans l'oubli, tout comme sa courte carrière, et c'est un peu ingrat!
Les fonds verts ou bleus étants encore balbutiant, Lisberger et ses équipes utilisent la technique, aujourd'hui presque morte, de la rotoscopie (découpage et superposition d'éléments images par images). Idée touchant au génie, les acteurs sont filmés dans un noir et blanc presque sépia, avant de voir leurs costumes colorés à l'extrême, mais toujours dans une esthétique de la pureté, dans un univers lui aussi à la fois classe et bigarré. La rotoscopie imposant par ailleurs des plans fixes, chaque plan devient une toile, et les mouvements utilisés dans les plans entièrement en images de synthèse (comme la fascinante et cultissime course de moto) prennent tout leur sens et tout leur poids. Un peu comme le requin de Jaws qui refusait de fonctionner, les contraintes techniques se sont transformées en formidables ressources artistiques dans Tron.
Alors, certes le scénario est sacrifié, les acteurs assez transparents et le happy end peut agacer, mais Tron garde des qualités intrinsèques et, surtout, uniques dans l'histoire du cinéma. Son relatif échec au box-office à l'époque a stoppé le mouvement qu'il aurait pu entamer. Mais, à l'ère du tout digital et des jeux vidéos sans cesse plus réalistes, il est bon de pouvoir se retourner vers un film précurseur et de constater qu'il fait toujours bonne figure.
Restent deux énigmes: comment a-t-on réussi à convaincre les pontes de Disney de financer "ça", et doit-on prononcer "tronc" ou "tronne"?
Bande-Annonce:
Plus d'image du film sur une chanson de Depeche Mode (montage: Justin Alt)
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Commentaires
J
Oui mais "Tron" étant aussi le titre français, faut-il l'utiliser comme le suffixe "-tron" qui suit tant de valeurs technologiques (électron, neutron, Mégatron!)? Mon coeur balance... Je me déciderais peut-être après quelques épisodes de "Praïzone Brèque".... ;o)<br /> <br /> Bon j'arrête la provoc', merci pour ton appréciation et pour cette photo assez troublante!
Y
Tout d'abord, cher Jean Gault, ça se prononce "tronne", parce que "tronc" ne serait que la francisation d'un titre anglophone. (tout comme le premier album de Björk se pronnonce "débyoute" et non pas "Début", et que la série de John McClane se prononce "Daille Harde" et non pas "Diarde").<br /> Ensuite, jolie analyse, sa lecture m'a bien plue ^^ <br /> J'ajouterais d'ailleurs que pour boucler la boucle, l'excellent studio "Monolith Software" a sorti en Octobre 2003 un jeu vidéo : "Tron 2.0", qui fait suite au film et qui s'avère être l'une des plus remarquables adaptations de film en jeux vidéos (avec les chroniques de riddick).<br /> <br /> A noter également que plus récemment, dans le jeu de rôle "Kingdom Hearts 2", je mêlant personnages originaux,personnages issus des séries Final Fantasy, et univers de disney dans une revisitation "à la japonaise" de ces univers (un mélange des genres très intelligement conduit au demeurant), Tron faisait partie des univers visitables. Il était d'ailleurs très amusant de voir Goofy et Donald "tronisés".<br /> cf l'image qui suit : http://blog.splitgames.fr/wp-content/uploads/2007/03/khii-1.jpg<br />
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