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Jangorama
16 août 2007

Alice in Wonderland

Alice au pays des merveilles, de Lewis Carroll, est un cas d'école en cela que c'est l'exemple type de l'ouvrage fondateur qui a dépassé l'aura de son auteur, a échappé à son contrôle et, sans doute même, à ses intentions premières. Tant de psychanalystes et de littérateurs se sont penchés sur ce récit initiatique, tant de théories ont été bâties qu'il est difficile de démêler le vrai du faux, pour peu qu'il y ait un vrai et un faux.
alice_wonderland
Pour ma part, je le trouve fascinant en cela que c'est un texte absolument subversif. Politiquement d'une part, car l'auteur y ridiculise en filigrane toute une série d'ordres établis, une dimension que la disparition d'une époque et d'un état d'esprit (l'Angleterre victorienne) a considérablement gommé. Mais surtout il reste le fait que le respectable révérend Charles Dogson, professeur de mathématique (« Un personnage guindé, toujours vêtu d’une redingote noire à peine ouverte sur un faux col d’ecclésiastique, promenant un visage aux traits fins et aux accents mélancoliques. Ses cours, qu’il débitait mécaniquement, suscitaient surtout l’ennui » selon un témoignage d'ancien élève) a écrit ce conte pour une petite fille qu'il aimait.
Alice_Liddell_2
Alice Liddle photographiée par Carroll en 1858, dans une pose pas très enfantine...
Aimer? Un mot, utilisé abondamment par l'auteur pour évoquer Alice Liddle, une des nombreuses petites filles qu'il fréquentait et avec qui il échangeait des correspondances très romantiques. Dogson/Carroll était un grand enfant, il ne s'était jamais senti à l'aise dans le monde des adultes. A l'époque il passait pour un excentrique. Que penserait-on de lui aujourd'hui? Ceci étant, son grand amour (et tous les autres, il faut le croire) resta fort heureusement platonique. Dès lors, il n'est pas difficile de lire en Alice, le récit d'une double souffrance: à la fois celle d'être confronté au monde des adultes (en fait de merveilles, Alice est agressée de toutes parts) et celle plus noire de l'amour du révérend pour Alice Liddle. Que Carroll ait été conscient ou pas de cette possible lecture de son oeuvre importe finalement peu, même si j'aime à penser qu'il savait très bien ce qu'il faisait. Je vous passerais en outre l'analyse du début du roman, où Alice ne cesse de changer de taille, et manque de se noyer dans ses larmes après avoir pénétré dans le terrier du lapin blanc... Une lecture perverse d'Alice est vraiment aisée. Il faut se garder pourtant de forcer le trait, et préférer voir ce conte comme une formidable marque d'affection, qui a traversé les temps pour devenir un mythe. Comme tout les mythes, les thèmes abordés y sont en fait très graves, mais parce qu'il touche au tabou absolu, cet aspect de l'oeuvre de Carroll est souvent passée sous silence (sans compter que Walt Disney est passé par là).
Sans surprise on peut en retrouver la trace dans l'oeuvre de... Serge Gainsbourg. Dans Variations sur Marilou, il écrit:
Dans son regard absent Et son iris absinthe Tandis que Marilou s'amuse à faire des vol Utes de sèches au menthol Entre deux bulles de comic-strip Tout en jouant avec le zip De ses Levi's Je lis le vice Et je pense à Caroll Lewis
Et plus loin:
Enfin poussant le vice Jusqu'au bord du calice D'un doigt sex-symbole S'écartant la corolle Sur fond de rock-and-roll S'égare mon Alice Au pays des malices De Lewis Caroll
Mais aussi de façon moins explicite chez Bob Dylan, où les jumeaux Tweedle-Dum et Tweedle-Dee sont des assassins sans vertus:
Well a childish dream is a deathless need And a noble truth is a sacred creed My pretty baby, she's lookin' around She's wearin' a multi-thousand dollar gown
Tweedle-dee Dee is a lowdown, sorry old man Tweedle-dee Dum, he'll stab you where you stand "I've had too much of your company," Says, Tweedle-dee Dum to Tweedle-dee Dee
photo_labyrinthe
Pan's Labyrinth
La versatilité des interprétations que l'ont peut faire du mythe d'Alice se reflète dans le spectre des oeuvres cinématographiques (on y arrive) qu'il a suscité. Le plus souvent l'influence se marque dans la figure d'une petite fille confrontée à un monde hostile, qui fuit dans un monde imaginaire qui se révèle encore plus hostile. Elle apprend donc à accepter la dure réalité. Du Voyage de Chihiro de Myiazaki à Labyrinth de Jim Henson (qui reprend l'ambiguité sexuelle entre la jeune héroïne et un homme plus âgé, David Bowie, roi des Goblins pour l'occasion), Tideland de Terry Gilliam (cette fois c'est un débile mentale qui est amoureux de la petite fille) ou bien sûr Le Labyrinthe de Pan, conte traumatique, où on retrouve l'aspect politique, de Guillermo Del Toro. Ce dernier film est celui qui rend le mieux la dimension cauchemardesque du voyage d'Alice (chenille géante, monstres assemblés à partir de plusieurs animaux...). On compte aussi de nombreuses références dans des films comme Jurassic Park, Matrix (ici le voyage se fait de l'imaginaire au réel), Silent Hill, Resident Evil, Donnie Darko (tous trois plus ou moins horrifiques). Et ce ne sont que des exemples récents.
voyage_chihiro_1 003_LABYRINTRP_Labyrinth_Posters tideland_g
Et bien sûr il y a les adaptations du livre à proprement parler, dont la plus célèbre est celle de Walt Disney. Toutes (hormis la version porno...) jouent la carte de la naïveté, et s'adressent aux enfants avec bien moins d'intelligence que le livre (qui cultive aussi le jeu de mot), même si bien sûr la version Disney ne manque ni de poésie ni de drôlerie.
Tout cela pris en compte, et j'en arrive enfin à l'origine de cette note!, il n'est pas surprenant d'apprendre qu'Alice fut un des premiers livres adaptés au cinéma. En 1903, Cecil Hepworth (un monument à l'origine du raccord dans le mouvement dans Rescued by Rover, et un des premiers à développer le principe des personnages récurrents) tourne déjà sa version, qui est, à l'époque, le plus long film anglais jamais tourné (12 minutes, vous pensez!). Pariant sur la connaissance du public (comme les films bibliques à l'époque), le film est assez incompréhensible si vous ne connaissez pas déjà l'histoire, ce qui prouve la popularité du roman. On croyait ce document perdu pour la science, jusqu'à ce que la BBC et la cinémathèque anglaise l'exhument et le restaurent (autant que c'était possible), et, 21ème siècle aidant, ce fascinant morceau d'histoire de l'art se retrouve sur YouTube, et dans le Jangorama!
La version commentée (en V.O.)
Une version accompagnée par la musique de Debussy (avec un générique moche)
BONUS! Le trailer original (1951) de la version Disney (V.O.)
BONUS 2! "Uuuuuuun Joyeux non-Anniversaire! A moi? A vous!" (V.F.)
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